Nous sortions à peine de la bouche de métro lorsque nous avons été pris de panique : nous n’aurions pas suffisamment de temps pour trouver le théâtre où aura lieu le spectacle de geishas que nous voulions voir cette soirée-là. Déjà que nous étions à une distance de marche considérable, trouver notre chemin du premier coup dans cette ville où tous les noms de rues sont écrits en japonais et où pratiquement personne ne parle anglais était à peu près impossible. Les chances d’arriver dans les temps au spectacle étaient quasi-nulles.
C’était notre dernière soirée à Kyoto, dernière soirée au Japon d’ailleurs, et si nous manquions notre coup pour assister à ce spectacle, nous perdions la possibilité de voir ces femmes mythiques qui fascinent mon imagination depuis que je connais leur existence. Je ne me le pardonnerais pas! On a essayé une direction, celle qui nous semblait la plus plausible, et avons espéré y arriver en marchant d’un pas plus que décidé. Les astres devaient être alignés car, pour une raison qui m’est toujours inconnue, nous sommes arrivés au théâtre à l’heure. Je me suis dépêchée à m’avancer au guichet en espérant qu’il resterait des billets disponibles pour la dernière représentation. Le garçon au guichet m’a répondu avec un anglais à peine compréhensible qu’il n’y avait pas de représentation de geishas ce soir-là… mes bras sont tombés à terre. Ma déception était si intense que j’avais l’impression que je venais de rater mon voyage, ce qui était une pensée ridicule lorsque j’y pense avec du recul.
Les geishas sont des artistes qui ont été, à tort, considérées comme des prostituées. Elles sont au Japon des dames de compagnie raffinées réservées à une clientèle très aisée. Bien que leur nombre ait considérablement diminué depuis le 18e siècle, il y a une recrudescence de jeunes filles qui décident de dédier leur vie à ce métier depuis les dernières années, notamment grâce aux médias sociaux.
Nous avons donc quittés le théâtre à reculons dans l’espoir de trouver un restaurant sympathique dans ces rues de Gion connues comme étant le quartier des geishas. En marchant tranquillement, la mine défaite, à la recherche de notre restaurant, elle m’est apparue. Elle marchait aux côtés d’un homme d’affaire au visage sévère qui ne semblait même pas apprécier sa compagnie. J’en ai déduit qu’il s’agissait d’un homme riche qui ne devait pas en être à sa première soirée en compagnie d’une telle femme. Son kimono était de couleur pâle mais entourée d’une magnifique ceinture de soie de couleur rose vif. Son visage blanc et sa chevelure noire arrangée en chignon avec un peigne la distinguait clairement de toutes les autres femmes que nous avions rencontrées jusque-là dans ce pays. Sa démarche était unique : de petits pas rapide mais juste et stable qui lui conféraient une grâce hors de tout doute.
Je n’en revenais pas, c’était encore mieux qu’un spectacle de geishas qui présente des numéros insignifiants pour le plaisir des touristes. Il s’agissait d’une véritable geisha au travail et elle marchait devant moi dans ces rues enchanteresses de Kyoto. J’avais l’impression d’être dans un autre univers, d’être face à face avec l’un des plus beaux trésors de ce pays riche en culture. Nous les avons suivi, de façon subtile, jusqu’à leur destination. Je l’ai regardé entrer à l’intérieur d’un bâtiment en me disant que cette femme représentait à elle-seule des centaines d’années de tradition.
On compte aujourd’hui environ 200 geishas au Japon et j’ai eu la chance d’en observer une dans toute sa splendeur en cette soirée du mois de septembre. Elle était vraie et moi j’étais sous le charme.
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