L’odeur de la mer se faisait sentir dès l’instant où nous avons mis les pieds à l’extérieur du terminal. L’homme au comptoir des locations de voiture nous a salués d’un grand sourire, nous annonçant au passage que nous étions maintenant dans la « best city in the world ». Un macaron portant cette annonce était fièrement accroché à son veston. Je trouvais l’intention touchante, même si je n’ai pu m’empêcher de me demander s’il était déjà sorti de sa ville pour avoir une vision plus juste de la situation. Nous l’avons remercié et pris la clé de la belle Corolla fraîchement lavée qui nous attendait dans le coin du stationnement.
Nous étions finalement arrivés à Cape Town, ville la plus australe du continent africain, mais surtout la plus touristique d’Afrique du Sud. C’est le genre d’endroit où je pourrais vouloir vivre ma vie pendant un certain temps, maintenant que le taux de criminalité s’est en partie amélioré et que les problématiques raciales semblent être en voie de se résorber. À première vue, j’avais de la difficulté à croire que nous étions bel et bien en Afrique. Les routes étaient beaucoup plus présentables que celles de notre Québec national, sans parler des magnifiques plages bondées de monde, des rues candides à tendance européenne avec leurs restaurants occidentalisés et leurs terrasses. Une piste cyclable qui longe le bord de la mer est utilisée comme terrain de jeux pour les milliers de joggeurs qui l’arpente tous les jours.
Mes idées préconçues de l’Afrique ne s’appliquaient clairement pas à cette ville florissante et débordante d’énergie. Les vestiges de l’apartheid n’étaient plus visibles pour mes yeux de touriste. J’aimais croire que la population métissée n’avait pas gardé de séquelle permanente de cette période désastreuse qu’avait connu le pays seulement quelques décennies auparavant. Seule Robben Island, perdue à quelques kilomètres au large de la ville, garantit un retour assuré dans le temps à qui désire s’y aventurer.
Le fameux Table Mountain domine le paysage au centre-ville. À son sommet, j’avais l’impression d’être le roi, ou la reine, du monde. La belle et fière ville du cap y paraissait si petite, si fragile. Elle continuait à tourner et c’était si beau de la regarder d’en haut. Je me rappelais vaguement un livre de Bernard Werber, « Nous les dieux », ce qui m’a fait sourire. C’était le genre de moment qui se savoure, qu’on aimerait être éternel. Une petite bête ressemblant à une marmotte s’est pointée le nez à côté de ma roche ; un « daman » qu’on les appelle. Aussi surprenant que cela puisse paraître, j’avais lu quelque part que son plus proche cousin dans l’arbre de l’évolution était l’éléphant. C’était à n’y rien comprendre. Je me suis dit que les « Dieux » s’étaient amusés sur celle-là.
En revenant vers l’hôtel, je me suis arrêtée à une boutique de touristes. Ils y vendaient des sous-verre en peau de zèbres. Ils n’étaient pas donnés, mais le gars du magasin aurait échangé sa mère pour me convaincre que la peau provenait d’une bête qui était morte de façon naturelle, ce qui à mes yeux justifiait leur prix exorbitant. C’était un de ses magasins « hauts-de-gammes-pro-conservation-de-la-nature ». J’ai acheté les sous-verre.
Le lendemain, nous avons mis le cap vers les vignobles, question d’aller nous bleuir les dents avec le bon vin rouge de cette région du monde. Beaucoup de gens marchaient le long de l’autoroute, parfois au beau milieu de nulle part. C’était à se demander d’où ils partaient et jusqu’où ils se rendaient tellement il n’y avait rien par endroits.
En route, à seulement quelques kilomètres à l’est du centre-ville, j’ai aperçu le township de Khayelitsha, le plus gros bidonville de l’Afrique du Sud. L’endroit ressemblait à un décor post-apocalyptique, avec des fils électriques mal raboutés à tous les mètres et des cabanes en tôles à perte de vue. Pour le confort, on repassera. Dormir sur le bord de l’autoroute métropolitaine serait sûrement plus douillet. Le choc culturel je l’ai eu en pleine face quand j’ai aperçue les maisons de plus près. Notre Corolla avec sa fière allure n’avait pas sa place dans ces rues cahoteuses au voisinage troublant. La réalité de certains serait un véritable cauchemar pour d’autres. J’avais envie de crier à l’injustice, surtout lorsque je pensais aux maisons de gens riches comme Crésus perchée sur le bord de la mer que j’avais aperçu à quelques kilomètres vers l’ouest.
À cette vision, j’ai compris pour quelles raisons on dit que l’Afrique du Sud est un pays de contrastes et de contradictions. Ça et le fait qu’ils nous arrivaient parfois de geler la nuit et de crever de chaleur pendant le jour.
Pays étonnant. Pays incroyable. Pays à découvrir.