J’ai toujours aimé les décollages d’avion. Ils me donnent un sentiment d’allégresse, une sorte de grésillement dans les tripes. Le moment où l’intérieur de l’habitacle se met à shaker et à couiner de partout, que le pilote enfonce le bras de vitesse dans le tapis, accompagné d’une force qui vous écrase contre votre banc, c’est priceless. Les moteurs grondent à s’en déboulonner des pièces, et puis, sans se faire supplier, les roues finissent par quitter le sol. S’ensuit un sentiment de liberté, une sorte de fierté enfantine d’avoir l’impression de voler. Il m’arrive même encore à l’occasion d’essayer de trouver ma maison à travers le hublot, une habitude d’enfant. J’aime sentir qu’une fois de plus, l’humain repousse les limites de l’impossible. Assis confortablement dans notre engin fait en tôle, nous sommes en mesure de parcourir des milliers de kilomètres en seulement quelques heures, tout en arborant une certaine attitude de mépris par rapport aux lois de la physique. Nous sommes vraiment une espèce téméraire.
L’avion prend de l’altitude, les maisons et les voitures paraissent d’une dimension ridiculement minuscule. Même la belle et fière Manhattan ressemble à une maquette en format réduit de là-haut. Et puis le voyant lumineux pour nous rappeler de garder notre ceinture bouclée s’éteint. Bien sûr, le copilote nous rappelle à travers l’intercom l’importance de rester attaché en tout temps pendant l’entière durée du vol, mais il nous est maintenant permis d’aller faire un tour aux toilettes si le besoin se fait sentir. Ce moment est généralement suivi du début du service des liqueurs et des repas. Ah, moment privilégié que j’affectionne tout particulièrement.
L’anticipation de découvrir mon repas en format compact fait partie de ces bonheurs simples de la vie. Avec un peu de chance, il peut y avoir des variantes surprenantes entre les repas d’un avion à l’autre. Je me souviendrai longtemps de ce vol sur lequel on m’avait offert un petit contenant d’Häagen-Dazs… C’était un vol Chicago-Tokyo. Le vol avait beau avoir duré près de 15 heures dans un avion datant de la Première Guerre, j’étais quand même sortie de l’avion avec un sourire niais aux lèvres. Comme quoi ce sont ces petites attentions qui font toute la différence … ou que je suis trop facilement achetable !
Perdue quelque part au-dessus de la mer entre la côte américaine et les Antilles, j’ai pris le temps de m’arrêter pour relativiser. L’anxiété ne se fait pas prier pour se manifester lorsqu’on réalise à quel point on est petit et seul dans ce ciel bleu, comparable à une truite dans le Sahara. Telle une funambule de l’air assise dans ma machine volante, j’avais l’impression de tenir sur un mince fil quelque part dans l’espace. Ce genre de moment est suffisant pour vous remettre en place, pour vous faire comprendre, qu’au fond, le monde continuerait de tourner sans nous.
Puis vint la côte, les plages dorées caressées par l’écume des vagues. Le concept du paradis terrestre commençait de plus en plus à être palpable. L’avion se posa finalement sur la piste, sans broncher.
L’air était lourd en sortant de l’avion, chargé d’une humidité caractéristique des tropiques. Une odeur d’hibiscus chatouillait mon nez sur la piste d’atterrissage. Il faisait chaud et doux, c’était le paradis. La machine volante avait une fois de plus accompli sa mission.